LETTRE PASTORALE ET CENSURE DE MONSEIGNEUR L’EVESQUE DE LECTOURE
C’est pourquoi il ne s’est pas contenté de condamner, comme faisaient les Scribes & les Pharisiens, ce qu’il y avait de plus sensiblement mauvais dans les actions humaines, il les a suivies dans le fonds des cœurs pour y en condamner la malice dans sa propre source, & pour en bannir tout ce qui pouvait y blesser la pureté de cet Amour, quelque secret & quelque invisible qu’il parut. La colère, les injures & les aigreurs secrètes du cœur, qui ne sont que les préludes de l’homicide même : les simples pensées de l’adultère & tout ce qui peut en avancer l’exécution lui a paru aussi véritablement contraire au sixième précepte de la Loi, que l’adultère. Il n’a pas moins religieusement défendu les serments que les parjures, & il n’a pas jugé que la pureté du prêt fut moins altérée par la seule espérance de la rétribution & du profit, que l’usure la plus avérée. Mais c’est encore sur ce même principe que les Evêques, qui seuls ont été établis de Dieu pour décider de la pureté des mœurs, aussi bien que de la vérité de la Doctrine, ont réglé leurs jugements pendant douze siècles dans cette sorte d’actions, que l’on appelle aujourd’hui des cas de conscience : ils les condamnaient suivant qu’elles leur paraissaient plus propres à graver l’amour de Dieu dans le cœur des fidèles, ou à l’en éloigner : ils ne s’attachaient point à justifier tout ce qui ne leur paraissait pas évidemment un crime, & la seule apparence du péché était pour eux une raison assez légitime pour les condamner. Animés de cet esprit ils soumettaient à une pénitence de plusieurs années les homicides même qu’une ignorance de fait rendait absolument involontaires, ou que le prétexte d’une défense légitime pouvait vraisemblablement excuser : ils ne jugeaient pas que l’on pu dissimuler la vérité d’une fait à ses Supérieurs sans violer la règle de simplicité Chrétienne, ils regardaient les secondes noces, toutes licites qu’elles soient, comme suspectes d’incontinence, & ils privaient ceux qui les contractaient, de la participation des saint Mystères pendant une temps très considérable : Enfin ils ne condamnaient pas seulement la simple pensée d’un profit comme usuraire ans le prêt, mais ils condamnaient encore les négoces & les commerces les plus usités, comme des sources funestes de mensonge ou d’iniquité. Ils savaient bien (Mes Frères) que la pureté de la Foi quand aux mœurs, & de nos jugements en ce qui les regarde, ne se pouvait solidement affermir que par les même voies, par lesquelles elle avait été établie. Et en effet elle a fleuri tout autant que les Evêques n’ont pas été interrompus dans l’usage de cette autorité légitime, & que les fidèles, que Dieu à commis à leur direction, ont parfaitement compris l’obligation étroite, qui les engage à se soumettre à leurs décisions comme aux uniques règles assurées de leur conduite & de leur créance.
Mais dès aussitôt que quelques particuliers sans nom & sans titre légitime, on entrepris d’eux-mêmes de s’attribuer une partie de cette autorité, & de se rendre les arbitres absolus de leurs mœurs, ces principes assurés de leur conduite & de leur jugement se sont évanouis. L’Amour de Dieu n’a plus été la règle des décisions des cas de conscience ; l’on ne s’est plus arrêté à n’approuver que ce qui pouvait les graver dans le cœur de l’homme, ou à condamner tout ce qui pouvait directement ou indirectement l’en déraciner ; ces nouveaux Pédagogues de la Morale Judaïque en ont renouvelé les principes, & la crainte de l’Enfer est honteusement devenue la seule règle de leur sentiment en fait de Morale. Ils ont autorisé toutes les actions, qui ne méritent pas évidemment selon leur sens une punition éternelle & qui ne conduisent lés pécheurs que sur les bords du précipice ; ils n’ont osé condamner que ce qu’il y avait en elles de plus sensiblement mauvais au dehors encore se sont-ils quelquefois efforcé d’en cacher la malice sous de fausses apparences de vertu, & s’abandonnant à leurs propres imaginations & à tout ce que l’amour de la nouveauté leur à suggéré de plus inouï, ils sont tombés en des égarements indignes de la pureté de leur Religion.
Ces derniers temps (Mes Frères) ne nous ont que trop parfaitement appris jusques où sont allés les suites funestes de ce cruel renversement de la Morale de Jésus-Christ : Nous avons vu quelques uns de ces faux Docteurs oser faire l’Apologie non seulement des emportements & des animosités secrètes du cœur, mais encore des duels, des meurtres, & des assassins prémédités, lors que la défense de son bien, de se vie, ou de son honneur en étaient principales causes : Nous en avons vu autoriser les pensées & les désirs les moins honnêtes, les occasion du mal les plus prochaines & les plus périlleuses, & des choses encore plus criminelles. Enfin Nous en avons vu favoriser en jugement même les mensonges & les parjures sur la foi de je ne sais quelles restrictions mentales, indignes de la simplicité Chrétienne, renouveler le règne de l’avarice & de l’usure sous une fausse apparence de gratitude, ou d’une justice purement légale & mercenaire : & au lieur de fixer les règles de la Morale Chrétienne sur la pureté de l’Amour de Dieu, qui en est le Principe, détruire ouvertement le précepte de cet Amour, & s’ériger, si j’ose dire, en Apôtres de la cupidité des hommes.
Mais nous pouvons dire que nous voyons encore sur le sujet de l’usure une suite de cette corruption étonnante dans un Livre qui parait depuis quelques temps en notre Diocèse sous le nom du Père Maignan, Professeur en Théologie de l’Ordre des Minimes, qui porte pour titre, De l’usage licite de l’argent,Dissertation Théologique, où est enseigné, etc. Traduit en Français par M. D. B.
Cet auteur parait bien éloigné de ce premier esprit de nos Pères, qui les portait à craindre le péché dans l’ombre même du péché, & à en condamner les seules apparences. Il y regarde cette maxime comme (page 215)
étant de soi un véritable occasion de ruine spirituelle aux âmes chrétiennes,
Ou comme le fruit (page 212)
d’un zèle indiscret, condamnable, & contraire à la justice Chrétienne :
il y apprend aux hommes un nouveau moyen de faire profiter leur argent, non pas de cette sorte de profit, qui doit être la récompense éternelle de leur bonnes œuvres, mais d’un profit pécuniaire & qui étouffe en eux les sentiments de la vraie Charité sous une fausse apparence de Charité. La vérité le force d’y avouer que ce moyen (page 221)
a toujours été blâmé de la plupart des Théologiens ;
& non seulement il entreprend de lui donner cours de sa seule & propre autorité, mais encore de nous persuader qu’il ne pouvait nous en dérober la connaissance (page 218)
sans pécher lui-même contre le Saint Esprit.
Il ne l’appuie sur aucun des Sacrés Canons, quelque espérance qu’il nous en eut donnée par une pitre exprès d’un des chapitres de son Livrer, où il n’en cite pas un seul : Et il croit avoir beaucoup fait (pages 164 C. per vestras des donations entre l’homme &t la femme.)que d’avoir entrepris de l’y établir sur une Décrétale d’Innocent troisième (Panorme, Hstiensis, Soto, etc.) , du sens de laquelle les Canonistes ne sont jamais convenus, & qui renverse sa Doctrine suivant le sentiment des plus habiles. Il n’y cherche point dans la vérité constante des Ecritures & de la tradition (Interrogate de femitis antiquis quae fit via bona & ambulate in ea. Ierem. 6. v. 16) ces voies anciennes qui devaient être la règle de sa conduite & de sa croyance ; mais il s’y abandonne aux premières vues de son imagination & aux lumières trompeuses d’une raison préoccupée de ses propres opinions. Il embrasse avec plaisir tout ce qu’elles lui mettent de plus singulier devant les yeux & il n’y fonde l’équité apparente de ce nouvel expédient, qu’il y propose, que sur des maximes fausses, contraires à la notion commune que les hommes se sont toujours formées de la nature des contrats, & qui portent en toutes choses avec elles un caractère évident d’erreur & de nouveauté. De sorte que nous pouvons raisonnablement dire de lui ce que Saint Bernard disait en son temps d’une célèbre invention de nouvelles opinions (Epist. 17.) :
Videtur plus nouiatatis curiosus, quam studiosus veritatis, gravarique de omni re sentire cum alÿs & dicere aut quod solus non dixerit, aut primus. Inde fit ut in his quae sentit & loquitur modum omnino tenere aut ignoret aut dissimulet.
En effet c’est ce qui le porte à vouloir y établir dans sa première Proposition ce nouveau moyen de faire profiter son argent sans usure sur le même raisonnement, dont un véritable Usurier s’efforce de colorer l’injustice de ses usures, dans la Somme de S. Thomas (page 7, 8 & 9 : Pretium accipere pro eo quod quis facere non tenetur non videtur effe secundum se peccatum : sed non in quolibet casu tenetur pecunia habes eam proximo mutuare : ergo licet ei aliquando pro mutuo accipere pretium. 2. 2 q. 72 obj. 5), & à vouloir encore y persuader après cela que ce raisonnement, que ce grand Saint y confond par une réponse très solide, est appuyé sur sa doctrine. C’est ce qui le porte à dissimuler tout ce que cette grande lumière de l’Eglise nous a dit de plus formel sur ce sujet, & à corrompre par des explications violentes de le sens naturel de quelques paroles tirées de ses Opuscules, pour faire glisser plus aisément sous son nom le venin de ses nouvelles maximes. C’est enfin ce la porte à faire d’autant parade, pour ainsi dire, de l’autorité de ce saint Docteur, qu’il y établit des principes le plus visiblement contraires aux siens. Car qui est-ce que ne lui peut pas faire ce reproche avec justice ?
Cet auteur nous dit que l’argent ne se consume point par son usage, parce (page 33)
Qu’il substitue en sa place des choses valent autant ou plus que lui.
Et saint Thomas qui n’a pas apparemment ignoré cette substitution prétendue, nous déclare avec tout ce qu’il y de Théologiens & de Jurisconsultes que l’argent se consume par son usage (2. 2. quaest. in C.)
Proprius & principalis pécuniae usus est ipsius consumptio, sive distractio secundum quod in commutationes expenditur.
Cet auteur nous dit qu’il est permis de retirer du profit de l’argent (page 62, 98) parce qu’il ne se consume pas par son usage & que tout au contraire il se multiplie ; & saint Thoms nous déclare que de foi il est défendu de retirer du profit du prêt de l’argent, parce qu’il se consume par son usage (2. 2. ibid.) : & propter hoc secundum se est illicitum pro usu pecuniaz mutuatae accipere pretium quod diciture usura.Cet auteur dui que dans le pêt de l’argent l’en conserve (p. 12. 13 et alibi) la propriété quant au fonds, quoi que l’on en transfère la propriété quant à l’usage ; & saint Thomas nous apprend que dans le prêt de l’argent & des autres choses usuelles ces deux propriétés sont inséparables (2. 2. Ibid.;) :in talibus non debet computari usus à re ipsa, sed cuicumque conceditur usus, ex hoc piso conceditur res, & propter hoc in talibus non transfertur dominium
0 Comments:
Post a Comment
<<RETOUR A LA PAGE DE TITRE